HYPOCHONDRIA
Quand je suis née, une fée s’est penchée sur
mon berceau et m’a soufflé « plus tard, toi, tu souffriras… ».
Ironie du sort, je ne suis jamais vraiment tombée malade, je n’ai jamais eu un
bras ou même une jambe cassés et l’on ne m’a pas découvert une maladie rare et
incurable ces vingt-cinq dernières années. Maman j’ai mal ! Oui, j’ai mal
au ventre, j’ai mal aux pieds, j’ai mal au crâne, j’ai mal au nez ; j’ai
mal partout tout le temps, et pourtant… Je ne suis pas malade.
Je suis hypocondriaque. Ce mot, c’est le mien,
il est à moi, il m’a été destiné…
Quand on naît dans une famille de médecins, on
parle médecine, on mange médecine, on dort médecine. Acidocétose, Amblyopie,
Cortex surrénal, Enterohépatique, glossodynie… Ces mots ne vous font pas
rêver ? Moi oui ! Ils m’inspirent, on dirait des voyages dans des
contrées inconnues, des formules magiques prononcées par d’anciens druides, ces
mots, si douloureux qu’ils soient, sont pour moi des friandises, auxquelles je
ne dois pas toucher.
Déjà enfant, je me plaignais souvent.
L’infirmerie de l’école n’avait plus de secret pour moi, et j’alternais suivant
les saisons, maux de ventre, maux de tête, dos en compote, mal au poignet,
cheville fragile, yeux fatigués… Ma mère, la pauvre, devait recevoir au moins
six coups de téléphone par mois pour venir me chercher… Mes profs, les pauvres,
à force de m’entendre geindre, devaient recevoir au moins six comprimés de
Xanax par mois pour tenir jusqu’à la fin de l’année… Si l’hypocondrie est un
syndrome psychologique, aller consulter le médecin plusieurs fois par mois, est
mon antidote. Grandir n’a fait qu’évoluer mes maladies imaginaires. D’un petit
mal de tête en est sortie une tumeur incurable, de mes maux de ventre, des
ulcères invisibles… Invisibles certes, car l’hypocondriaque se soigne. Oui, il
fait des scanners, passe des examens, des coloscopies en tout genre ; un
bol d’ibuprofène pour le petit-déjeuner et une ration de paracétamol avant
d’aller au lit.
L’hypocondriaque aime les hôpitaux. Cela doit
lui rappeler des souvenirs qu’il n’ait jamais eus, il aime l’odeur des
couloirs, la nourriture servie en chambre, il aime se balader dans les
différents services et prendre l’ascenseur avec les brancardiers.
Le rêve de l’hypocondriaque : pouvoir
dire un jour « tu vois, je te l’avais bien dis que ça
m’arriverait ».
Pour la petite anecdote chargée d’histoire
(cultivons nous un peu cela ne nous fera pas de mal..), l’hypocondrie
concernait à l’origine des gens qui souffraient de terribles douleurs sous les
côtes droites et les médecins, ne pouvant atteindre et palper cette zone
cachée, en avaient déduit qu’il s’agissait d’un trouble psychologique…
Malheureusement pour les patients, ceux-ci étaient en fait atteint de calculs
biliaires. Ironie du sort vous ne trouvez pas ?
L’hypocondriaque, c’est un peu comme le garçon
qui criait au loup. Il jour, il se fait bouffer.
Mais
comment ne pas le devenir ? Quand ma télé ne diffuse pas un épisode de Dr.
House ou Grey’s Anatomy (constatons quand même que cette dernière a le chic
pour transformer des patients apparemment sains en cadavre prêt pour la morgue.
Ils veulent ma peau !), les magazines féminins me parlent sans cesse de détox’
et purification. Si je me branche sur le Web, c’est pour découvrir les nombreux
sites médicaux et leur merveilleux ‘lexique des syndromes’. Vous ne voulez pas
devenir hypocondriaque ? Ne vous connectez jamais, au grand jamais, sur un
de ces sites ! C’est un peu comme la caverne d’Ali Baba, sauf que les
bijoux d’ors sont remplacés par des montagnes de possibilités de maladies…Petit
exemple, si je tape maux de tête et fatigue sur Doctissimo (pour ne citer que
lui), il me propose au choix, un syndrome de fatigue chronique, une
fibromyalgie, une neurasthénie ou une myasthénie… Et encore, je ne vous liste
pas les 116 autres possibilités… Mmhh… Que choisir ? Alors forcément, je
tombe dans la paranoïa, je me dis que oui c’est vrai que j’ai une baisse de
tonus, que effectivement j’ai peut-être un peu mal au dos maintenant qu’on me
le suggère, et que mes troubles digestifs sont sûrement liés oui, à une
descente de mes viscères, ce qui a entraîné des troubles du sommeil… Mais alors
docteur, je vais mourir ? Ben non, pas cette fois, pas encore. Pas d'hôpital, pas de médecins, pas de prise sang ni même de radio.
Et une petite analyse d’urine ?
NON ! Un p’tit scanner alors ? NON !
Comme un drogué je suis en manque. Pour passer
ma peine je regarde alors Meredith Grey annoncer à une jeune femme qui vient de
se marier qu’il ne lui reste plus que quelques jours à vivre (la pauvre elle
est venue pour se faire soigner un bouton… ), et je me dis « pourquoi pas
moi ? »
Lavoyou.
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